Voici un petit… tout petit petit, manuel vivant de rhétorique fallacieuse de François Bayrou dans sa déclaration de politique générale, pour justifier qu’il est « prêt à renoncer » à la suppression de 4 000 postes dans l’éducation nationale (si si, encore), dans « un geste de bonne volonté ».
Oui, mais quand même, il relativise : « tous les postes que nous mettons au concours, nous n’arrivons pas à les remplir » du fait du manque d’attractivité, alors bon…(non non, ce n’est pas une blague).
Arthur Schopenhauer – cf. L’art d’avoir toujours raison – doit Bayroucouler dans sa tombe devant ce bel exemple de fausse solution : on prend un échec flagrant – l’incapacité à rendre le métier d’enseignant attractif – et on en fait la preuve irréfutable qu’il faut baisser les bras.
Belle inversion causale, car ce n’est évidemment pas la pénurie qui « oblige » à supprimer les postes, c’est la suppression des moyens qui aggrave la pénurie. Mais allez, on va supprimer 4000 postes, comme ça les classes seront de plus en plus surchargées, les enseignants de plus en plus épuisés, de plus en plus absents, de moins en moins remplacés, de plus en plus démissionnaires et les jeunes, de moins en moins motivés pour devenir des missionnaires d’une École qu’on a laissé tomber.
Un raisonnement circulaire impeccable : « Puisque nous n’arrivons pas à pourvoir les postes, supprimons-les, comme ça, c’est réglé ! ». En somme, c’est un peu comme fermer un hôpital, parce que ça évitera de manquer de médecins.
Plutôt que d’améliorer l’attractivité du métier en agissant sur les salaires ou les conditions de travail, on présente la suppression des postes comme la conséquence logique et inévitable de la pénurie. C’est un fait accompli, un appel à l’impuissance : « on n’y peut rien, c’est comme ça… ». Vive le simplisme fataliste.
Pierre Bourdieu aurait dénoncé cette « naturalisation » du problème où l’on transforme un choix politique – ne pas investir dans l’éducation – en phénomène extérieur, presque naturel, comme si la désaffection des candidats était une catastrophe climatique incontrôlable.
Bien sûr, l’absence d’attractivité ne tombe pas du ciel, elle découle des politiques menées depuis des années. Avec cet « argumentaire », le pouvoir se pose en spectateur impuissant devant les conséquences de ses propres choix, il devient simple spectateur de son propre naufrage. Résultat : la suppression des postes est maquillée en réponse pragmatique, mais il s’agit surtout d’un habillage rhétorique pour normaliser une régression et se déresponsabiliser.
Face au paradoxe que fait apparaître cette nouvelle proposition de nous Bayrouler dans la farine et qui consiste à résoudre un problème en aggravant ses effets, on en oublierait presque à quoi sert l’École : à former des citoyennes et des citoyens ou à remplir des colonnes Excel ?
Alors, Cui bono ? À qui profite cette politique de l’abandon ? À qui profite le crime ? se demanderait sans doute Cicéron…