Si parfois, depuis notre condition privilégiée d’humain.e.s libre.s – centré.e.s sur nos quotidiens chronophages – on a tendance à oublier le reste du monde, cette Journée internationale des (droits des) femmes, célébrée chaque 8 mars, est là pour nous rappeler que nous ne jouissons pas tou.te.s des mêmes droits et libertés.

« Chaque fois qu’une femme se lève pour elle-même, sans le savoir, peut-être sans le revendiquer, elle se lève pour toutes les femmes. »
Maya Angelou, Rainbow in the cloud : The wit and wisdom of Maya Angelou (2014)
L’ONU a commencé à célébrer la Journée internationale des femmes, le 8 mars 1975 – Année internationale de la femme – mais cette journée trouve son origine dans les manifestations de femmes, réclamant de meilleures conditions de travail et le droit de vote, au début du XXe siècle, en Europe et aux États-Unis. C’était hier.
En France, il a fallu attendre le 21 avril 1944 pour que les femmes obtiennent le droit de vote et puissent se présenter à une élection, après plus de 150 ans de mobilisations civiques. C’était hier.
Elles ont obtenu le droit de divorcer, en France, avec la loi du 20 septembre 1792, abrogée sous le Code civil de 1804, puis réintroduite 80 ans plus tard. Il faudra attendre 1975 pour que se substituent à un divorce jusque-là uniquement fondé sur la faute une pluralité de cas de divorce – dont celui par consentement mutuel. C’était hier.
Les femmes mariées n’ont pu ouvrir un compte en banque, sans l’autorisation de leur époux, qu’à partir de la loi du 13 juillet 1965 sur les régimes matrimoniaux, qui leur accordait également une plus grande capacité juridique dans la gestion de leurs biens et finances. C’était hier.
L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée, en France, depuis la loi « Veil » du 17 janvier 1975. C’était hier.
Ce 8 mars 2024, une cérémonie au ministère de la justice scelle la loi relative à la liberté de recourir à l’IVG, dans la Constitution. Le projet de loi comporte un article unique, qui modifie l’article 34, pour y inscrire que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse« . Sans toutefois aborder ici la différence entre « droit » et « liberté », notons seulement que ça, c’est aujourd’hui.
Ce qui n’est pas sans rappeler l’hypothèse prémonitoire, sinon visionnaire, formulée il y a déjà longtemps par Françoise Héritier : « Les deux piliers de la domination masculine résident dans le contrôle social de la fécondité des femmes et dans la division du travail entre les deux sexes » et « le contrôle de la procréation entre les mains des femmes elles-mêmes est la première marche vers l’égalité« .

« La différence des sexes structure la pensée humaine puisqu’elle en commande les deux concepts primordiaux : l’identique et le différent. La manière dont chaque culture construit cette différence met en branle toute sa conception du monde, sa sociologie et sa biologie, comme sa cosmologie. Changer le rapport du masculin et du féminin, c’est bouleverser nos ressorts intellectuels les plus profonds, élaborés au fil des millénaires. En démontant les mécanismes de la différence, ce livre offre des solutions pour parvenir à l’égalité. »
Selon Françoise Héritier, la prééminence du masculin proviendrait « moins d’un handicap du côté féminin (fragilité, moindre poids, moindre taille, handicap grossesse, et allaitement) que de l’expression d’une volonté de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir si particulier », c’est-à-dire de la procréation.
Françoise Héritier, Masculin/féminin : La pensée de la différence (1996)
Depuis le 24 juin 2022, suite à l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême, le droit à l’avortement n’est plus garanti aux États-Unis, au niveau fédéral, laissant à chaque État la liberté de légiférer sur le sujet. Une décision qui a entraîné une importante fragmentation législative, avec certains États qui imposent des restrictions sévères sur l’avortement, tandis que d’autres en renforcent les protections d’accès.

« Nous commencerons par discuter les points de vue pris sur la femme par la biologie, la psychanalyse, le matérialisme historique. Nous essaierons de montrer ensuite positivement comment la ‘réalité féminine’ s’est constituée, pourquoi la femme a été définie comme l’Autre et quelles en ont été les conséquences du point de vue des hommes. Alors nous décrirons du point de vue des femmes le monde tel qu’il leur est proposé ; et nous pourrons comprendre à quelles difficultés elles se heurtent au moment où, essayant de s’évader de la sphère qui leur a été jusqu’à présent assignée, elles prétendent participer au mitsein humain. »
« On ne naît pas femme : on le devient. »
Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (1949)
Profitons de cette journée pour faire la lumière sur une autre fameuse – femmeuse ! – antienne, beauvoirienne, cette fois – oui, ovarienne aussi, pourquoi pas ! -, dans laquelle résonnent les maux des femmes qui doivent encore lutter pour leurs droits.
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Reprise maintes fois, dans le contexte des discussions autour de l’IVG, une autre phrase appelant à la vigilance des femmes est attribuée à Simone de Beauvoir, dans Le deuxième sexe ; or, ce n’est pas tout à fait exact.
Pour être précise, cette phrase est citée par l’écrivaine, diplomate et militante féministe Claudine Monteil dans de nombreux ouvrages dédiés à Simone de Beauvoir.
Pour la petite histoire dans la grande, Claudine rencontre Simone, au début des années 1970, dans le cadre des réunions préparatoires à la publication du « Manifeste des 343« , dans Le Nouvel Observateur, signé par 343 femmes déclarant avoir avorté clandestinement et appelant à la légalisation de l’avortement en France.

Le Nouvel Observateur publie le « Manifeste des 343 », le 5 avril 1971.
343, c’est le nombre de femmes – célèbres ou anonymes – qui déclarent avoir avorté, se rendant coupables d’une pratique passible de prison.
Le mercredi suivant, Charlie Hebdo titre « Qui a engrossé les 343 salopes ?« . Le dessin de Cabu était bien sûr à prendre au second degré et le mot « salope » visait à fustiger ceux qui l’employaient. L’éditorial était sans ambiguïté à ce sujet.
Catherine Deneuve, Agnès Varda, Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Françoise Sagan, Delphine Seyrig, Gisèle Halimi signent le texte. Ce qui a pour effet de participer à son retentissement.
Claudine Monteil a livré, dans un témoignage récent, l’histoire du Manifeste, dont elle fut, sous le nom de Claudine Serre, l’une des plus jeunes signataires.
Retraçant le parcours de son histoire jusqu’à l’emblématique discours de Simone Veil devant l’Assemblée nationale, en 1974 – qui a préparé le terrain pour l’adoption de la loi dite « Veil » de 1975 – Claudine Monteil raconte que ce jour-là, alors âgée de 24 ans, elle s’est exclamée :
– « Simone, nous avons gagné ! »
Le visage de Simone se serait alors assombri :
– « Certes, Claudine, nous avons gagné, mais temporairement. Il suffira d’une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante. »
Réjouissons-nous, aujourd’hui, sans toutefois perdre de vue que le chemin est encore long.
Et comme dirait quelqu’un que je connais : « On Veil, on surveille, on a Beauvoir, on Veil encore. Restons vigilant.e.s ». J’ajouterais, « soyons les dignes Héritier(es) de Françoise » !

Pour finir, je partage cet article, écrit pour l’agence Graphéine, il y a un an, sur les affiches de contestation en Iran : « Les cheveux en bataille dans les affiches contestataires iraniennes« .